
Denis Hyenne
Directeur d’hôpital en retraite, membre de l’atelier « Partager ses recherches en archives » de l’Université populaire de Valence (UPAVAL).
Résumé : l’étude présente deux listes d’entreprises de Valence, l’une en 1921 (88 entreprises) et l’autre en 1932 (31 entreprises), destinées à évaluer la gravité du chômage complet (1921) et du chômage partiel (1932). En 1921, le chômage frappe quelques entreprises durement, surtout les fabriques de chaussures, à la suite de l’arrêt des commandes de guerre. Cette enquête apporte aussi des informations sur le tissu industriel de la ville : grande majorité de petites entreprises, activités variées, localisation dans les faubourgs et les quartiers proches de la gare. En 1932, le chômage est important dans la mécanique, le textile, la bijouterie, la chaussure ; le chômage partiel est présent dans la moitié des entreprises interrogées.
Le présent document s’intègre dans une étude sur l’assistance municipale entre les Deux-Guerres, utilisant des documents d’archives publiques, relevant d’un projet de l’atelier « Partager nos recherches aux archives » de l’Université populaire de Valence. Dans la recherche, deux dossiers d’archive ont été croisés, portant sur le chômage déclaré par des entreprises de Valence en 1921 et 1932. Ces deux dossiers ont été exploités ici pour évaluer l’ampleur du chômage à Valence.
– Pour 1921, il s’agit d’une enquête préfectorale auprès d’entreprises pour décompter les licenciements liés à la crise de 1920 – 1921 découlant de l’arrêt de l’économie de guerre. Les données collectées (toutes reportées ci-après) sont : l’activité, l’adresse, l’effectif « habituel » (avant la crise) en hommes et en femmes, l’effectif mis en chômage (avec la date) et la date de reprise supposée (dossier ADD 10 M 94).
– En 1932, c’est une enquête municipale découlant de la grande dépression débutée en 1929. La Ville évalue la dépense à prévoir pour l’éventuelle création d’une caisse de chômage partiel. Les données demandées aux entreprises sont : l’activité, l’adresse, l’effectif « normal » (avant la crise) et l’effectif « actuel » (sans distinguer entre emploi masculin et féminin), l’horaire hebdomadaire de travail (dossier AMV 7 F 6).
De ces deux dossiers ressort une information sur des entreprises présentes à Valence et sur l’impact de la crise économique sur l’emploi au moment de l’étude. Il s’agit d’une information partielle : en 1921 comme en 1932, l’enquête ne porte que sur une partie des entreprises valentinoises.

Meubles Merle 1920 (Fonds Mémoire de la Drôme)
SYNTHÈSE
L’enquête de 1921 (ADD 10 M 94)
L’enquête préfectorale de janvier 1921 porte sur 103 entreprises, dont 88 répondent, employant un effectif habituel de 2 314 hommes et femmes. Le chômage, débutant dans l’été 1920, s’amplifiant dans l’hiver, touche 13 % de cet effectif.
Ces entreprises ne sont qu’une partie de celles en place à Valence, ce que l’on constate en utilisant la technique préconisée par Bernard Alison (de l’UPAVAL), la comparaison avec l’Annuaire de la Drôme (accessible par Gallica). Toutes les entreprises d’une même activité ne sont pas présentes ; des activités de labeur ne sont pas présentes (imprimerie par exemple). L’emploi industriel est donc supérieur à celui présenté par l’enquête : l’écart doit être variable suivant les activités, car certaines sont mieux représentées que d’autres. En fin de document, on trouvera le relevé des entreprises intervenant dans les activités présentes dans l’enquête.
Tel qu’il est, le dossier comporte suffisamment de données pour dépeindre une situation sans doute proche de la réalité. Les traits principaux sont ceux-ci.
– En 1921, Valence ne connait pas d’activité prépondérante. Pour la moitié de l’effectif employé, l’activité se répartit de façon égale entre trois branches : textile – habillement, bois – ameublement et alimentation. L’autre moitié s’éparpille entre mécanique, fabrication de chaussures, bâtiment – TP, cartonnages et « divers ».
– Le tissu industriel à Valence est composé de petites entreprises : 90 % des ateliers ont moins de 50 employés et occupent 50 % de la main d’œuvre. Seules trois entreprises ont plus de 100 employés chacune, réunissant 29 % de la main d’œuvre (Boulonnerie calibrée – mécanique, Merle – meubles, Gilibert et Tézier – pâtes alimentaires).
– L’emploi se répartit entre hommes, à 60 %, et femmes, à 40 %. L’égalité n’est atteinte nulle part ; la main d’œuvre féminine est très majoritaire dans l’alimentation et le textile, et très minoritaire dans le bâtiment, le bois – ameublement.
– Le chômage (13 % en moyenne) frappe de façon très inégale les activités : la fabrication de chaussures est la principale branche atteinte (licenciement de 73 % de l’effectif habituel, soit la moitié des 300 chômeurs – trois établissements sur huit licencient tout leur personnel ; un quatrième en licencie 70 %). Les autres licenciements sont dispersés, sans marquer une branche en particulier : mais deux entreprises sont durement touchées, peut-être en raison de l’arrêt des commandes de guerre (une corderie, une fabrique de carton bitumé).
– Les entreprises sont réparties dans quelques quartiers, montrant une sorte de zonage industriel : des avenues formant faubourgs (avenue de Romans, avenue Victor-Hugo, avenue Sadi-Carnot, rue Faventines, boulevard Gambetta), et des quartiers peu éloignés de la gare PLM (Jappe Renard, Châteauvert, Saint-Jacques, Pont-du-Gât) ou du port (quais du Rhône).
L’enquête de 1932 (AMV 7 F 6)
L’enquête conservée aux Archives municipales de Valence date de janvier 1932. Elle porte sur 37 entreprises ; pour 31, on a les données demandées. Le total de l’effectif « normal » (avant la crise) est de 2 181 personnes, passant à 1 875, soit – 14 %, du fait de la crise économique.
Le nombre d’entreprises est trop limité pour réaliser le même détail par branches que sur les données de 1921. Mais quelques points sont à noter.
– Les activités répertoriées sont les mêmes qu’en 1921, à l’exception d’une activité : les grands magasins, Nouvelles Galeries et Dames de France.
– Les petits ateliers n’étant pas interrogés, on ne peut appréhender une évolution de la taille des entreprises, mais on constate d’une part une augmentation d’effectif pour la majorité des 14 entreprises présentes déjà en 1921, et d’autre part le passage de 3 à 6 des entreprises de plus de 100 employés.
– Le chômage frappe durement cet ensemble d’entreprises : 14 % en moyenne. Il atteint 30 % dans la mécanique, 22 % dans le bois – ameublement, 14 % dans le textile – habillement.
– La réduction d’horaire de travail est pratiquée par 16 entreprises sur 31, mais reste « à la marge » pour la majorité : seules quatre entreprises passent à un mi-temps, et une entreprise passe à un tiers-temps (19 h au lieu des 48 h hebdomadaires).

Implantation schématique de l’industrie à Valence en 1921
Les ateliers sont installés dans les quartiers proches de la gare, sur les avenues principales et sur le quai du Rhône. Surlignées en bleu, les principales avenues.
A. DOSSIER ADD 10 M 94 « CRISE DU CHÔMAGE » – 1921
Ce dossier préfectoral comporte divers documents : courriers, rapports, coupures de presse, portant sur le chômage dans la Drôme.
En janvier 1921, le préfet fait enquêter sur la situation du chômage à Valence, Romans, Montélimar. Une crise économique, créée par la reconversion de l’économie de guerre à l’économie de paix, s’est traduite en 1920 – 1921 par des cessations d’activité et le développement du chômage.
Pour Valence, quatre tableaux, dressés en janvier et février 1921, portent des listes d’entreprises avec pour chacune les effectifs habituels et les personnes mises au chômage.
Les tableaux portent le nom de 103 entreprises, avec leur adresse et leur activité. Pour 88 de ces fabriques, ces données sont complétées par le nombre d’employés habituel et le nombre d’employés mis au chômage, (avec la date du licenciement). Elles déclarent compter 2 314 employés habituellement.
Pourquoi ces 103 entreprises ? En suivant la préconisation de Bernard Alison, une comparaison avec l’Annuaire de la Drôme de 1920 (et 1922, pour contrôle) montre qu’il y avait bien d’autres entreprises dans les branches concernées par l’enquête, et bien d’autres branches, dont certaines à priori utilisatrices d’effectifs importants. Il manque ainsi les imprimeurs, chaudronniers, minotiers… Des secteurs sont mal représentés : charrons – forgerons, tonneliers…
Soit que des tableaux soient perdus, soit que l’enquête ait été bornée dès le départ (mais quelles bornes ?), le dossier ne donne donc pas une situation complète de l’emploi et de l’activité industriels à Valence en 1921. Il a l’intérêt de donner des effectifs pour des entreprises dont l’Annuaire de la Drôme ne signale que l’adresse, et indiquer des activités où le chômage est important – répondant ici à la demande du préfet.
On présente ainsi les données.
- Récapitulatif par branches d’activité.
- Récapitulatif par taille des entreprises.
- Récapitulatif pour l’emploi masculin et féminin.
- Récapitulatif pour le chômage masculin et féminin.
- Détail des réponses par branches d’activité.
- 5.1. Alimentation.
- 5.2. Bâtiment et travaux publics
- 5.3. Métallurgie et mécanique.
- 5.4. Bois et ameublement.
- 5.5. Cartonnages.
- 5.6. Cuir et chaussures.
- 5.7. Textile et habillement
- 5.8. Divers : Bijouterie, Corderie, Chimie, Autres.
1. Récapitulatif par branches d’activité – 1921
Pour simplifier la synthèse, les 103 fabriques ont été réparties en sept branches d’activité principales (en raison de leur nombre ou de l’effectif employé) : alimentation, bâtiment – travaux publics, mécanique – métallurgie, bois – ameublement, cartonnage, chaussures, textile – habillement, et une branche de divers comprenant les fabriques en petit nombre ou à petit effectif (moins de 100 employés ensemble) : bijoux, chimie, corderie, et d’autres ateliers uniques dans leur activité. Dans chacune de ces branches, ont été utilisées les données des 88 entreprises répondant.
Que ce soit pour le nombre d’ateliers ou pour le nombre d’employés, aucune branche n’apparaît prédominante. En nombre d’ateliers, la mécanique – métallurgie est la première branche (17 ateliers), suivie de l’industrie du bois – ameublement (16) et du bâtiment – TP (15). Ces trois branches forment la moitié du nombre d’entreprises. En termes d’effectif habituel, trois branches emploient chacune près de 20 % de l’effectif habituel total (54 % du total) :
- l’habillement – textile : 19 % ;
- l’industrie du bois – ameublement : 18 %, avec la présence de la deuxième fabrique en termes d’emploi (Merle, ameublement, 200 employés) ;
- l’industrie alimentaire : 17 % du total, avec la plus grosse fabrique (Gilibert et Tézier, pâtes alimentaires, 280 employés) ;
La mécanique – métallurgie (15 %) vient ensuite (grâce à la présence de la Boulonnerie calibrée, dont les 185 employés représentent la moitié de l’effectif de la branche). Avec 10 % ou moins des emplois, on a la fabrication de chaussures (10 %), le bâtiment – TP (9 %), le cartonnage (5 %). Les divers forment 7 % de l’effectif.
Le chômage touche 13 % de l’effectif habituel des 88 entreprises. Ce pourcentage est variable suivant les branches :
- trois branches ne sont pas touchées par la crise : alimentation, mécanique – métallurgie, cartonnage ;
- deux branches ont 5 et 8 % de leur effectif au chômage : bois – ameublement, habillement-textile ;
- les divers ont un taux de chômage de 17 % : ce chiffre découle de l’arrêt d’une seule entreprise, une corderie ;
- le bâtiment TP est touché de façon sensible : 21 % de l’effectif, mais cela découle essentiellement des licenciements d’une entreprise de TP – produits bitumineux ;
- enfin, la fabrication de chaussures est la principale victime de la crise économique : 73 % de l’effectif habituel est mis au chômage, soit 55 % des 300 chômeurs. Quelques entreprises licencient la totalité ou la majorité de leur personnel.
Détail pour les entreprises classées en divers
2. Récapitulatif par taille des établissements – 1921
Parmi les 88 fabriques répondant, il y a une forte majorité de petits établissements, et peu de grandes entreprises :
- 78 sur 88 établissements ont moins de 50 employés, soit 90 % des établissements, pour 51 % des employés ;
- la catégorie la plus nombreuse est celle des ateliers de moins de 10 employés : 35 ateliers ;
- 7 ont entre 50 et 99 employés et emploient 20 % des employés ;
- 3 seulement ont plus de 100 employés mais emploient 29 % des employés (Boulonnerie calibrée, mécanique, 185 – Merle, meubles, 200 – Gilibert et Tézier, pâtes alimentaires, 280).
Les toutes petites entreprises, si nombreuses, ne produisent que peu d’emploi. La moitié des 300 personnes mises au chômage travaillent dans des ateliers de 1 à 49 employés et la catégorie des entreprises de 50 à 59 employés est celle où le chômage frappe le plus : 45 % du total des chômeurs. Ce segment est celui des fabriques de chaussures.




Atelier des meubles Merle, 1910 (Fonds Mémoire de la Drôme)
On compte 28 personnes sur la photo. On peut penser que l’atelier en 1920 n’était pas plus mécanisé.
3. Récapitulatif pour l’emploi masculin et féminin – 1921
Sur les 2 314 employés, 60 % sont des hommes (1 377) et 40 % sont des femmes (937). La proportion hommes / femmes varie suivant la branche d’activité, et n’atteint l’égalité nulle part. Les femmes sont majoritaires dans l’habillement – textile (69 %), l’alimentation (68 %), le cartonnage (65 %). Les hommes sont largement majoritaires dans l’industrie du bois (97 %), le bâtiment – TP (92 %) et la mécanique – métallurgie (70 %).





Atelier de bijouterie Filet, 1924 (Fonds Mémoire de la Drôme)
15 personnes sur la photo, dont 4 femmes. C’est l’heure de la pause dans l’atelier. On aperçoit le caillebotis recouvrant le plancher.
4. Récapitulatif pour le chômage masculin et féminin – 1921
Les femmes mises au chômage (107) sont moins nombreuses que les hommes (208). Les chômeurs représentent 15 % des hommes employés (208 sur 1 377). Les chômeuses représentent 11 % des femmes employées (107 sur 93). Dans le principal secteur touché par la crise, la fabrication de chaussures, les entreprises licencient plus d’hommes (119 sur 141 hommes employés, soit 81 %) que de femmes (47 sur 75 femmes employées, soit 59 %). C’est l’inverse dans le textile – habillement, où 7 % des femmes sont licenciées (20 sur 304), contre 1 % des hommes (2 sur 134).
Le chiffre élevé du chômage féminin dans le Bâtiment – TP provient des données d’une seule entreprise, Barnier, entreprise de TP – bitume – goudron bitumé, qui licencie 15 de ses 20 employées et 16 de ses 21 employés.

Détail pour les divers


Extrait d’un article du Messager de Valence, 14 janvier 1921 (ADD 10 M 94)
« La crise du chômage dans la Drôme – L’inertie des pouvoirs publics – Et nos élus, que font-ils ? » Extrait d’un article du Messager de Valence, 14 janvier 1921 (ADD 10 M 94). Le journal a des positions de droite, ce qui explique son affirmation de l’inertie de la municipalité radicale-socialiste de Valence. La proposition de travaux de voirie est classique de l’époque : avant la guerre, la Ville employait ainsi, chaque hiver, les « sans-travail » à aplanir les champs d’épandage d’ordure ou déblayer la neige.

Réunion à la préfecture, 20 janvier 1921 – extrait (ADD 10 M 94)
Compte rendu de réunion à la préfecture avec les représentants de la Bourse du Travail de Valence, du 20 janvier 1921 – extrait (ADD 10 M 94).
La réunion est tenue entre le secrétaire général de la préfecture, les représentants du maire de Valence (dont le Dr Paul Simond) et le maire de Bourg-lès-Valence (M. Bochirol) et des représentants de la Bourse du Travail de Valence (dont Louis Saillant). Les Bourses du Travail avaient pour rôle premier le placement des salariés auprès des entreprises. Pendant la guerre, avait été créé un Office départemental de placement, sous l’autorité du préfet, pour faciliter l’industrie de guerre. Les deux institutions ont donc des informations sur l’emploi.
La réunion suit une demande de la Bourse du Travail (du 17 janvier : la réponse du préfet a été rapide) s’inquiétant du chômage dans l’industrie et le bâtiment et demandant les mesures prises. Les délégués sont interrogés sur « le nombre d’ouvriers renvoyés par les patrons. ». Leurs données confirment l’enquête de la préfecture : gravité du chômage dans l’industrie de la chaussure, le textile. Le secrétaire général indique que l’Office départemental n’a reçu que 50 demandes d’emploi : « la crise du chômage n’est pas aussi forte qu’au licenciement de la Cartoucherie. »
En fin de réunion, discussion sur les mesures à prendre : les représentants de la Bourse du Travail demandent l’établissement de soupes populaires, le représentant de la ville de Valence (le Dr Paul Simon) indique pouvoir occuper les chômeurs à des travaux de terrassement, le secrétaire général conseille aux délégués d’organiser des concerts dont le bénéfice irait aux chômeurs.
Ces projets ont-ils déçu les syndicalistes ? Le 28 janvier, ils écrivent au préfet qu’ils n’ont pu décompter le nombre réel de chômeurs, ne pouvant prendre en compte que leurs affiliés : ils ne viendront donc pas à la prochaine réunion, tout « en restant dévoués à la cause ».
5. Détail des réponses par branches – 1921
5.1 ALIMENTATION
L’enquête comporte 4 entreprises, qui répondent toutes. Une des principales branches d’emploi : 392 personnes, 17 % de l’effectif total. L’Annuaire de la Drôme pour 1920 répertorie d’autres entreprises, au total 14 dont les 4 de l’enquête. 4 établissements, dont le plus important de la ville, Gilibert et Tézier (280 employés). Les 3 autres sont des petits ateliers. Le chômage ne touche qu’une entreprise, la conserverie La Gauloise (peut-être fournissait-elle les armées pendant la guerre ?).
Gilibert et Tézier est implanté rue Chorier, en pleine ville mais à proximité de la gare. C’est dans le même quartier sud-est de la ville (Châteauvert – Jappe Renard) que sont installés La Gauloise et le Vin Saint-Raphaël, rue Pont-du-Gât, et la Réglisserie dauphinoise, rue Freycinet.

5.2 BÂTIMENT ET TRAVAUX PUBLICS
Sur les 25 entreprises de bâtiment ou de travaux publics, 15 répondent à l’enquête. Elles réunissent 210 employés, soit 9 % de l’emploi habituel.
10 entreprises de bâtiment, dont 5 répondent ; la plus importante est Mondon de 93 employés ; 9 entreprises de plâtrerie – peinture, dont 6 répondent, la plus importante est Couppie, de 18 employés, qui licencie 10 ; 2 entreprises de marbrerie, répondant toutes les 2 ; 4 entreprises de travaux publics dont 2 répondent, la plus importante, Barnier, de 37 employés, en licencie 25.
Au total, les 15 entreprises emploient habituellement 210 personnes (dont 17 femmes), et en licencient 44 (dont 15 femmes), soit 9 % de l’emploi. Sur les 15 entreprises, 10 ont moins de 10 employés ; 4 ont entre 10 et 21 employés ; mais la quinzième, Mondon, n’a pas moins de 93 salariés.
L’Annuaire de la Drôme présente une liste beaucoup plus longue d’entreprises de bâtiment mais aucune entreprise référencée en travaux publics (voir en fin de document) :
- 17 entreprises de bâtiment ;
- 29 plâtriers – peintres ;
- 8 marbriers – tailleurs de pierre.
L’emploi dans cette branche était plus important que celui qui ressort de l’enquête, même à supposer ces entreprises supplémentaires étaient de petite taille.
Le chômage de l’hiver 1920 est important : 21 % de l’effectif habituel est en chômage, 44 personnes sur 210. Mais ce chômage est concentré sur 3 entreprises : Bouchier, bâtiment (7 chômeurs sur 10 ouvriers), Couppie, peintre (10 chômeurs sur 18 ouvriers), et Barnier, TP et bitumes, qui licencie 25 de ses 37 employés. Il n’y a donc pas eu de crise générale dans le bâtiment. Barnier est peut-être frappé dans son activité de production de carton bituminé : arrêt de la demande des armées ? Couppie survit à l’épreuve puisque l’entreprise est présente en 1932.
L’implantation des entreprises est concentrée : 20 sur 25 sont installées dans deux quartiers. 9 sont installées Avenue de Romans, et 4 autres dans le même quartier ; 5 sont installées Avenue Victor-Hugo, et 2 dans le même quartier.

5.3 MÉTALLURGIE ET MÉCANIQUE
19 entreprises dans l’enquête, dont 18 répondent : 5 ateliers de mécanique (58 employés), 7 serruriers (35 employés), 3 fonderies (46 employés), et 4 autres entreprises (213 employés dont 185 pour la Boulonnerie calibrée).
Les 352 employés représentent 15 % de l’effectif habituel de l’enquête. Le chômage est anecdotique. L’Annuaire de la Drôme répertorie 32 entreprises dont 14 serruriers, 5 mécaniciens, 8 carrossiers charrons. La « fabrique de boulons » (Boulonnerie calibrée) est citée dans la rubrique « Industries en création. » Ici aussi, l’effectif réel de la branche doit être plus nombreux, même si les « oubliés » sont sans doute de petits ateliers. L’implantation est plus diffuse que celle du bâtiment, mais là aussi, ce sont les faubourgs qui accueillent les ateliers, autour de l’Avenue Victor-Hugo et de l’Avenue de Romans.

5.4 BOIS ET AMEUBLEMENT
Cette branche d’activité répond bien à l’enquête : 15 réponses pour 16 entreprises – 9 entreprises du bois et 6 fabricants ou marchands de meubles. Mais l’Annuaire de la Drôme donne un plus grand nombre d’entreprises : 27, dont 19 entreprises du bois et 8 fabricants ou marchands de meubles.
Cette industrie est la deuxième source d’emploi après le textile : 412 employés, soit 18 % de l’emploi habituel. 7 ateliers sur 15 ont moins de 10 employés ; 6 ont entre 10 et 30 employés. 2 entreprises sont importantes, fabriquant des meubles : Merle, avec 200 employés (2e entreprise de la ville après Gilibert et Tézier) et Valentia, avec 50. Les 3 scieries emploient 37 personnes, la fabrique de bois de fusil en emploie 30. Les ateliers sont implantés à l’extérieur des boulevards : aucun menuisier en centre-ville. Le chômage frappe 2 entreprises, une scierie de 8 employés qui en licencie 2, et un fabricant de meubles, Ventre, durement atteint en janvier 1921 : licenciement de 20 personnes sur 23.


Menuiserie Esprac, 1925 (Fonds Mémoire de la Drôme)
Le nom de cette entreprise ne figure ni dans l’enquête ni dans l’Annuaire de la Drôme en 1920 et 1932.
5.5 CARTONNAGES – 1921
3 entreprises sont interrogées et répondent. À l’échelle de Valence, elles sont de taille respectable : 30 / 40 employés. Les ateliers sont dans le quartier Saint-Jacques – Notre-Dame. L’Annuaire de la Drôme cite 1 autre entreprise de cartonnage, et 3 relieurs – cartonniers.
Majorité d’emploi féminin. Pas d’impact du chômage.

5.6 CUIRS ET CHAUSSURES – 1921
Sur 8 fabriques, 7 répondent : 1 tanneur, 2 fabricants de chaussures, 2 galochers, 1 sabotier, 1 fabricant de sandales La branche cumule 226 employés, 10 % des employés de l’enquête ; c’est plus de monde que le bâtiment (210). 3 entreprises de 50 employés habituellement, et 4 de moins de 50. Majorité d’emploi masculin.
Mis à part l’atelier Bouchon Culoz et Vignard (rue Jonchères), toutes les fabriques sont établies à l’extérieur des boulevards. La tannerie Mirabel-Chambaud est sur le quai du Rhône.
On a une sous-représentation de l’effectif, puisque l’Annuaire de la Drôme donne pour cette industrie 18 entreprises :
- 8 fabricants de chaussures ;
- 7 sabotiers – galochers ;
- 1 fabricant de sandalettes et talons ;
- 2 tanneurs.
L’effet de la crise est très fort : 166 personnes mises au chômage, soit 73 % de l’effectif habituel. 3 établissements licencient tout leur personnel : les 2 établissements Chareyre (50 pour les chaussures, 50 pour les galoches) ainsi que Jalatte (galocher, 36 personnes). Vacher (sandales) en licencie 36 sur 50 (70 %). Les 2 autres survivent. Le tanneur n’est pas concerné. Ces licenciements pourraient être la conséquence de la paix : arrêt des achats militaires.

5.7 HABILLEMENT ET TEXTILE – 1921
Les 14 entreprises interrogées répondent ; elles emploient 19 % de la main d’œuvre habituelle, ce qui en fait la principale branche d’activité de la ville, juste avant le bois – ameublement (18 %) et l’alimentation (17 %). 4 entreprises d’habillement et 10 entreprises du textile.
L’Annuaire de la Drôme comprend 8 entreprises de plus : 22 entreprises au total, dont 12 dans l’activité textile (moulinages et filatures) et 10 dans l’habillement. L’effectif employé était donc supérieur (même si les ateliers d’habillement hors enquête étaient sans doute de petite taille).
Le chômage ne concerne qu’une fabrique de soie, Jouve, qui licencie son personnel en décembre 1921. En habillement, on a 2 entreprises de confection importantes (chapeaux Raffaelly, 77 employés – confection Dufour, 42 employés). Dans le textile, une entreprise de près de 100 personnes (Allègre, filature de soie artificielle), et 3 de près de 50 (2 moulinages, Garel et Chabert, 1 fabrique de bâches (Cauvin-Yvose), 2 de 42 (moulinages Chabert et Garel). 3 autres d’une vingtaine d’employés (2 filatures et 1 moulinage), et 3 autres de moins de 10 employés (2 chiffonniers et 1 moulinier de 2 employés !).
La soie occupe une bonne part de l’activité : 4 moulinages et 3 filatures (dont 1 de soie artificielle), au total 242 personnes employées, la moitié de l’emploi de la branche. Les moulinages sont-ils implantés près des canaux ? Ce doit être le cas d’Alligier, à La Comète (qui n’occupe que 2 personnes – réalité ou erreur de transcription ?), de Garel, rue Berlioz. Jouve, soyeux, utilise peut-être le canal des Moulins, au 50 de l’avenue Gambetta ?
6 ateliers sont implantés dans le quartier Jappe Renard – Châteauvert (rue Corcelle, avenue de l’École normale, rue Berlioz, rue Fulton, rue Pont-du-Gât). 2 chiffonniers sont installés avenue Sadi-Carnot, faubourg actif.


Moulinage Chareyre, 1925 (Fonds Mémoire de la Drôme)
Le moulinage Chareyre ne figure pas dans l’enquête ni dans l’annuaire de 1920. Elle figure comme filature dans l’annuaire de 1932, localisée rue Lapérouse. L’atelier a l’air récent : toiture à sheds, chauffage au plafond. On compte 15 personnes, dont 12 femmes et 3 hommes (dont un adolescent en culottes courtes).
5.8 DIVERS – 1921
On a classé dans cette catégorie deux groupes d’entreprises :
- celles de même activité dont le total des emplois habituels est inférieur à 100 personnes : fabricants de bijoux (6 ateliers – 90 personnes), cordiers (2 – 20 personnes), et fabricants de produits chimiques (2 dont 1 seul répond, 3 personnes) ;
- les 3 entreprises dont l’activité est unique dans l’enquête.
On a ainsi le plaisir de voir l’activité bijoutière déjà bien présente à Valence. Au total 169 employés, 7 % du total de l’enquête.
L’Annuaire de la Drôme donne quelques autres entreprises : 7 bijoutiers dont 2 non cités dans l’enquête, 3 cordiers dont aucun n’est cité dans l’enquête, 5 fabricants de produits chimiques, dont aucun des 2 cités dans l’enquête.
Le chômage touche fortement un bijoutier, Poret, un cordier, Goutard et Picard, et un fabricant de vaporisateurs, Vincit. La fin de la guerre n’est sans doute pas à l’origine de leurs difficultés. Vincit au moins a survécu, puisque la société est encore présente dans l’annuaire de 1932.

B. DOSSIER AMV 7 F 6 – CHÔMAGE PARTIEL 1932
Ce dossier des Archives municipales de Valence comprend de nombreuses pièces sur le chômage partiel datées des années 1931 – 1939, émanant de la municipalité de Valence, ou collectées par elle. Le dossier comporte notamment un ensemble de courriers d’entreprises de janvier 1932 répondant à une demande de la mairie sur leur effectif et leur horaire de travail dans le but de chiffrer les dépenses d’une caisse de chômage partiel à créer. Un état est dressé en février 1932 à partir de ces courriers ; sur 37 entreprises, 31 donnent leur effectif « normal », leur effectif « actuel » (après licenciement) et le nombre d’heures travaillées par semaine. En regard de certaines entreprises, l’administration municipale inscrit le calcul d’une aide qui serait apportée par la caisse de chômage partiel.

Groupe de délégués du Congrès régional des Chômeurs, 16 janvier 1932 (AMV 7 F 5)
Extrait du Sans-Travail – Organe du comité unique des chômeurs de Valence et environs – février 1932. Devant la Bourse du Travail, 36 personnes dont 12 sont des femmes (dont l’une tient deux enfants).
On présente ainsi les données.
- Comparatif sur les deux ensembles d’entreprises, 1921 et 1932.
- Récapitulatif par taille des entreprises.
- Récapitulatif pour le chômage
1. Comparatif sur les deux ensembles d’entreprises, 1921 et 1932.
L’enquête porte sur 31 entreprises. L’Annuaire de la Drôme pour 1932 comporte de nombreuses autres entreprises dans les mêmes activités. L’ensemble interrogé par la municipalité apparaît comme un échantillon, sans doute réduit aux principales entreprises industrielles. Le total de l’effectif « normal » de ces usines est de 2 181 personnes, diminué par la crise économique à 1 875, soit – 14%.
Par rapport à l’ensemble d’entreprises vu en 1921 (pour rappel : 88 entreprises, 2 314 employés, moyenne de 27 employés par entreprise), on a un ensemble différent : moins d’entreprises, en moyenne plus importantes (70 employés par entreprise) ; il n’y a plus surreprésentation des toutes petites entreprises, les entreprises moyennes sont plus nombreuses. Ceci vient évidemment de l’objectif même de l’enquête, ne s’adressant pas aux artisans.
Mais deux faits sont intéressants : sur les 14 entreprises dont on a l’effectif dans les deux enquêtes, 10 ont augmenté leur effectif depuis 1921 (tableau ci-dessous) ; et 6 entreprises ont plus de 100 employés en 1932, au lieu de 3 en 1921. Il y a peut-être eu augmentation et concentration de l’emploi industriel dans la décennie 1920 – 1930.

2. Récapitulatif par taille des entreprises – 1932


3. Récapitulatif pour le chômage – 1932
Le chômage frappe durement cet ensemble d’entreprises : 14 % au total des employés sont licenciés.
Le chiffre des licenciements est important pour la chaussure et la bijouterie (16 %, 18 % de licenciement) mais le nombre d’entreprises interrogées est faible. On constate dans des branches à fort effectif des pertes d’emploi très fortes : 22 % dans le bois – ameublement, 30 % dans la métallurgie – mécanique, 14 % dans le textile – habillement.
La réduction d’horaire hebdomadaire est largement pratiquée. La durée légale était de 48 h (6 journées de 8 h) sauf exceptions (54 h dans la minoterie, 52 h dans la scierie). Sur 32 établissements donnant leur horaire, 16 entreprises le diminuent :
- 10 restent à 40 h ou au-dessus ;
- 6 sont en-dessous de 40 h : 38, 33, 32 h – on voit même 27 h (Chièze, chaussures) ou 19 h (Filet, bijoutier).
Le chômage touche nettement l’industrie mécanique, le textile, la bijouterie, l’industrie de la chaussure et l’industrie du meuble.
Le tableau semble incomplet pour ce qui est des indemnisations prévisibles : le rédacteur porte une somme en regard de 3 entreprises (descendant à 19 h, 27 h, 33 h), alors que 6 autres réductions d’horaires à priori indemnisables ne portent aucune valorisation.
3.1 Évolution des effectifs par branches – 1932
3.2 Licenciements par branches d’activité – 1932

Affiche du « Comité des chômeurs et chômeuses de Valence » (détail) appelant à une réunion le 28 janvier 1932 (AMV 7 F 5).
Le Comité des chômeurs et chômeuses est créé en octobre 1931 sur incitation de la CGT unitaire (liée au PCF). Il intervient auprès du maire (Jules Algoud, radical-socialiste) pour améliorer les conditions d’aide par le fonds de chômage municipal (l’aide aux chômeurs relève à l’époque de la compétence municipale). En janvier 1932, la CGT confédérée (proche de la SFIO) crée un comité des chômeurs Valence – Bourg-lès-Valence.
Les deux comités insistent pour la création d’une caisse de chômage partiel auprès du Conseil municipal de Valence. Le chômage est une question importante en 1931 – 1932, fréquemment débattue par le Conseil, soumis à la pression du Comité des chômeurs et aux interventions de la minorité SFIO du Conseil, dont Jules Moch, député de la Drôme, qui prend position à chaque séance sur la question. Les revendications de l’affiche demandent une amélioration des conditions d’attribution des aides (dont la suppression de la limitation à 180 jours de la prise en charge, l’inscription « de tous les sans-travail », c’est-à-dire étrangers compris). Le Conseil municipal n’est en réalité pas maître de ces règles : elles sont fixées par l’État, leur respect est la condition du subventionnement des fonds municipaux de chômage.

Lettre de la Manufacture de galoches Chièze au maire de Valence, 14 avril 1932 (AMV 7 F 5)
Après l’enquête de janvier 1932, la municipalité crée une caisse de chômage partiel (délibération du Conseil municipal du 24 février 1932) et propose aux entreprises d’y cotiser. La réponse négative de M. Chièze se fonde sur les difficultés économiques de l’entreprise : absence de vente, production lancée sans commande.
Lettre de la Manufacture valentinoise de chaussures au maire de Valence, 18 avril 1932 – détail (AMF 7 F 5)

Lettre de la Manufacture valentinoise de chaussures au maire de Valence, 18 avril 1932 – détail (AMF 7 F 5)
Autre réponse négative, encore plus amère : M. Rivoire met en cause les ouvriers étrangers et les importations « (…) En favorisant les industries qui emploient du personnel étranger à salaire inférieur, en favorisant l’importation des chaussures étrangères, en favorisant le dumping de la maison tchécoslovaque Bata, les Pouvoirs publics ont créé le chômage dans notre industrie (…). »

Le port et les Grands Moulins de Valence Basset et Bouvier, quai du Rhône, en 1930. (Fonds Mémoire de la Drôme)
La minoterie est installée sur la voie fluviale, et non pas sur la voie ferrée.
ANNEXE
ENTREPRISES CITÉES DANS L’ANNUAIRE DE LA DRÔME – 1920
Source : Gallica « Annuaire du département de la Drôme 1920 »
En italiques, les entreprises figurant dans l’enquête préfectorale de 1921.









Crédits photographiques : © Mémoire de la Drôme
Cet article est édité par les Études drômoises. Pour le citer, mentionner :
Hyenne Denis. « Industrie et chômage à Valence en 1921 et 1932 ». Mise à jour le 21 février 2025. In Études Drômoises. Site de l’Association universitaire d’études drômoises, [En ligne]. https://etudesdromoises.fr/chercheurs/epoques/industrie-et-chomage-a-valence-en-1921-et-1932/ [consulté le JJ/MM/AAAA].
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