Mémoire et mythes, une nécessité historique en 1945 ?
La figure du maquisard, du combattant « les armes à la main », domine d’ailleurs les autres formes de résistance dans les représentations.
Le premier film, Au cœur de l’orage en 1947, qui mêle images tournées en Vercors par des cinéastes envoyés par Alger et propose des reconstitutions à chaud, rend essentiellement hommage aux combattants.
Cette vision permet au général de Gaulle, chef du gouvernement provisoire de s’appuyer sur la Résistance, ses héros et martyrs et surtout son armée, pour rebâtir une conscience nationale, retrouver la « grandeur » de la France et oublier juin 40.
La guerre froide, qui débute en 1947 et s’inscrit autant dans le cadre national qu’international, a été propice aux batailles de mémoire autour de la Résistance : elle a divisé les associations de résistants et de déportés. Elle a alimenté les polémiques, instrumentalisé la résistance, renforcé les mythes.
Le Parti communiste s’appuie sur ses martyrs, ses «75 000 fusillés », son appel du 10 juillet 40 censé faire contrepoids à l’appel du 18 juin. De Gaulle, qui a fondé le RPF, utilise l’image de la France Libre et sa stature personnelle comme instrument de lutte contre le PC pour gagner les élections municipales de 1948.
La bataille de mémoire accompagne la bataille politique, qui est souvent violente, notamment à Grenoble en 1948.
La grande amnistie de 1953 fait polémique. Les résistants trouvent qu’il est bien tôt pour oublier juridiquement les crimes de miliciens qui se sont fait oublier (Paul Touvier) ou des criminels de plume, collaborateurs jamais repentis comme Pierre-Antoine Cousteau ou Lucien Rebatet.
Les années 60, avec le retour de De Gaulle sont les années du consensus « résistantialiste », avec le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon. Dans cette période, l’archétype du résistant est moins le maquisard montagnard que l’homme de l’ombre, les hommes – et timidement les femmes – des réseaux clandestins, qui apparaissent dans le film L’armée des ombres (1969).
Des avancées historiographiques sont venues de l’extérieur au début des années 70.
Robert Paxton, un américain qui n’a pas fait la guerre, a posé un regard d’historien sur Vichy, regard exempt des enjeux de mémoire français. L’ouverture progressive des archives publiques (après 30 ans) permet des études riches et novatrices sur Vichy et les Français.
Le film Le chagrin et la pitié, qui relativise la France résistante, montre sans fard dans une petite ville les acteurs de la collaboration, mais aussi de la zone grise de Français attentistes, plus débrouillards que héros, veules, vénaux. Le film, interdit à la télévision jusqu’en 1981, modifie le regard, notamment de la jeunesse.
Les mythes « résistancialistes » sont remplacés par d’autres, tout aussi excessifs, le mythe d’une France lâche et veule.
Ainsi va le balancier de la mémoire. Après les héros, ce sont les victimes qui tiennent le haut du pavé mémoriel. La période est toujours surinvestie et tourne parfois à la concurrence des mémoires.
Il semble aujourd’hui pourtant que le couple conflictuel histoire-mémoire se rapproche, dans une vision plus nuancée, mais donc moins édifiante de la période.