Association universitaire d'études drômoises
L'AUED est une association reconnue d'utilité publique qui édite Études drômoises, la revue du patrimoine de la Drôme

C’est bien du travail que je vous trace

par AUED

Par Jean Sauvageon

Études drômoises n° 57 (mars 2014)
pp. 3 à 9

Résumé d’après l’article

Antonia Rey prend en charge l’exploitation agricole à la mobilisation de son mari, dès le 15 mars 1915. Dispersée sur 3 communes, la polyvalence des productions multiplie les problèmes.

Leur correspondance est un véritable lexique des techniques culturales.

La traction étant essentiellement animale, les soins à apporter aux chevaux, mulets, bœufs revêtent une importance capitale. Le cheptel (vaches, veaux, chèvres) demande lui aussi des soins, y compris vétérinaires, que Robert Rey rappelle constamment à son épouse.

Le 18 septembre 1918, il diagnostique : « J’ai été surpris en ouvrant tes lettres à propos du cheval où tu me dis qu’il a été malade. C’est probablement un petit coup de froid et puisque vous l’avez pris à temps, ce ne sera sans doute pas grand chose. Faites-le boire… »

Les techniques culturales, basées sur les rotations et l’assolement, demandent une implication plus directive et les indications données sont nombreuses et précises.

Labours, semis, traitements, récoltes, tout est passé en revue. Les conseils de Robert arrivent régulièrement, ainsi le 16 octobre 1915 : « J’ai oublié de vous dire de vitrioler (6) le blé, c’est vite fait et il en faut pas beaucoup. »

Le 20 août 1916 : « Je crois qu’à la place du tabac et carottes il ne doit pas y avoir des trèfles, et à la place de la luzerne c’est là que vous pourriez y mettre des choux ce qui rendrait mieux qu’à la Mission, et vers les pins ça se garderait pour les carottes. »

Les surplus doivent être vendus et c’est aussi une des tâches que doit accomplir Antonia.

Le 27 septembre 1915 : «Un marchand de vin était ici aujourd’hui, il achète le vin à la cuve 40 francs ; il m’a demandé si je voulais en vendre. Je ferai ce que papa me conseillera.»

Antonia vend aussi des fourrages et Robert la conseille. Le 23 juillet 1916 : « Pour la luzerne de Chalaurie, si le père Jourdan la veut, je crois que tu feras bien de lui la donner. Pour le prix vous serez toujours d’accord.»

Même aidée, Antonia mène une vie de labeur intense. Malgré la fatigue, elle réussit à écrire presque tous les jours. En général, elle tient son mari informé de l’avancement des travaux. Quelquefois l’ampleur des tâches nouvelles, s’ajoutant aux anciennes produisent une saturation que quelques lettres traduisent. Le 29 octobre 1915, elle écrit : « J’ai reçu ta lettre du 25, mais tu sais je n’accepte pas le reproche que tu me fais en me disant que je ne te donne pas de grands détails de ce que nous faisons. Oui, je t’ai écrit des cartes, quelques jours j’étais vraiment occupée et puis ces jours-là nous ne faisons pas un travail intéressant au point de t’en donner les moindres détails. Le travail des femmes dans la maison ne peut t’intéresser que jusqu’à un certain point. Pour moi je fais le ménage, je raccommode, je surveille tout, tu sais que cela n’est pas peu de chose.»

Par moment, Robert essaie de rassurer sa femme, comme ce 21 mai 1917 : « Pour le travail je comprends que tu es embarrassée en voyant venir la fenaison ; on t’offre à te faucher, il faudra bien accepter. Pourvu qu’il fasse beau au moment de la fenaison c’est le plus grand point.»

Ainsi à travers ces nombreux échanges entre le chef d’exploitation éloigné par la guerre et celle qui tente de suppléer au mieux à cette absence, s’est instauré un dialogue permanent pendant ces 3 ans de séparation. Les responsabilités prises par la femme transforment sa place dans le couple.

Robert Rey décède le 3 octobre 1918, d’une « grippe espagnole », à Beauvais, dans l’Oise, quelques semaines avant l’armistice. Antonia Rey a poursuivi quelques mois, seule, mais ne pouvant assumer la responsabilité entière de l’exploitation, elle a dû la mettre en fermage en mars 1919.

Antonia Rey
Passage de la galère à Anjou
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