Dans la période d’immédiat après-guerre, la fonction d’instituteur n’attire pas les jeunes.
Cette année-là, 12 places au concours d’entrée à l’École Normale de Valence et… 12 candidats !
Jean Sauvageon, originaire du nord de la Drôme, se retrouve à… Montaulieu, à 12 km à l’est de Nyons, commune de 72 habitants. Pas de route goudronnée, pas d’électricité.
Au lendemain de la guerre, nombre de villages des Préalpes drômoises sont encore dans la même situation que Montaulieu.
Le bassin du village, où coule un filet d’eau, est le seul point d’approvisionnement. Je me retrouve seul dans un « appartement » vide avec une salle de classe pauvrement meublée devant accueillir huit élèves de 6 à 13 ans.
Première soirée dans la maison du maire, où vivent déjà quatre familles, qui m’offre le gîte et le couvert. Là je fais peu à peu connaissance de ma commune et de ses habitants.
Après le repas, on me montre ma « chambre », une pièce au-dessus de l’étable. Le plancher disjoint laisse s’infiltrer l’odeur entêtante des litières et surtout le bruit incessant, la rumeur d’un troupeau au repos, ponctué de quelques bêlements. Je ne sais plus si j’ai réussi à dormir.
Face à une classe, il y a ce que l’on prépare avec soin, mais qui ne marche pas forcément. Il y a aussi les opportunités, les réflexions d’élèves qui permettent d’avancer dans des directions non prévues.
Parmi mes souvenirs, il y a un événement qui a dû marquer les élèves. Nous sommes à la fin du printemps, une après-midi chaude dans cette région déjà très provençale, les fenêtres de la classe sont ouvertes.
« Monsieur l’instituteur ! Monsieur l’instituteur ! Venez vite, une brebis vient de se faire piquer par une vipère. Les hommes sont tous aux Granges ».
Je rassemble mes dix bambins, nous rejoignons Mme E. qui est allée chercher la boîte de vaccin antivenimeux.
Nous commençons par lire la notice attentivement. « Injecter la moitié de la seringue près de la morsure et le reste dans la cuisse ». Je ne me souviens plus si nous avions de l’alcool pour désinfecter la peau de la brebis, peut-être de l’eau de vie.
Les élèves les plus grands immobilisent la bête – ils sont plus habitués que moi à cet exercice – et j’opère sous les yeux attentifs des plus jeunes et de Mme E.
Le lendemain, nous prenons des nouvelles de la victime. Tout va bien. La brebis est sauvée. Quelle belle « leçon de choses » pour l’enseignement des rudiments de science !
Avec quelques collègues des villages voisins, et après accord de l’inspecteur, nous mettons en place un ramassage de nos élèves une fois par semaine en juin et juillet pour aller à la piscine de Nyons qui vient d’ouvrir.
De même le voyage de fin d’année donne lieu à diverses activités destinées à rassembler l’argent nécessaire : coopérative scolaire, concours de pétanque, vente de fleurs séchées et la récompense : le voyage à Marseille, la mer !
À la fin du mois d’octobre, je perçois mon premier traitement d’instituteur. 17 000 francs ! J’en profite pour régler mes dettes. 200 francs le repas, 400 francs par jour, 12 000 francs pour le mois soit 70 % de mon salaire partent pour ma pension.
Le partage de la vie de la commune est la seule manière de passer le temps et donne lieu à des moments à forte convivialité. Même si les conditions de vie étaient précaires, si la classe unique était parfois difficile à maîtriser parfaitement, ce séjour d’une année dans ce village perdu du Nyonsais n’est pas un mauvais souvenir. C’était mon entrée dans la profession d’enseignant, mais aussi véritablement mon début dans la vie d’adulte.