Monsieur Scipion Gras, ingénieur des Mines, déclare : « On donne le nom générique de forêt de Saoû, dit-il, à un bassin de montagnes faisant partie d’un système de soulèvement parallèle aux Pyrénées et aux Apennins… »
Pour en saisir le développement, il faut prendre du recul : La partie méridionale de ce bassin offre une magnifique chaîne de rochers déployés comme des draperies, et qui du village de Bourdeaux, situé dans la vallée du Roubiou, se présentent avec une ampleur de lignes qui rappellent quelques unes des perspectives offertes par les vastes plateaux du Thibet.
La masse principale des rochers qui les supportent appartient à la formation inférieure des terrains crétacés, nommés par quelques géologues terrains néocomiens.
Les calcaires de Fon d’Oresse, dont nous donnons aussi un croquis, présentent par intervalles des silex dont les teintes variées rappellent le jaspe et le porphyre.
Les matières charbonneuses, elles ont été explorées pendant plusieurs années, et ont donné autrefois de grandes espérances ; Dans un procès-verbal de visite, daté du 1er décembre 1785, Faujas de Saint-Fond donne une haute idée de la mine de Saoû, dont il représente le charbon comme propre au chauffage domestique et à celui des chaudières ; il annonce même que, pour ces usages, il peut remplacer trois fois son poids en bois de chêne, ce qui le rendrait supérieur à la meilleure houille.
La flore est d’une grande richesse. Hépathique, alchimille des Alpes, belladone, dont d’innombrables utilisations ont été développées. Sur la partie la plus élevée des rochers de la forêt de Saoû, fort au-dessus de la région des arbres, dans les replis du plateau culminant qu’on nomme Roche-Courbe, deux plantes rares ont été reconnues par les naturalistes.
L’une est un œillet nain, presque sans tige, dont le calice s’élève du sein d’une rosette de feuilles linéaires et acuminées, semblables à celles de l’androsace du Nord, quoique plus résistantes.
L’autre est une renoncule à fleur blanche, avec gorgerette de feuilles semblables à des bractées, partant du milieu de la tige, comme dans la renoncule thora, mais découpées comme dans les anémones.
La faune n’est pas en reste :Au pied de Roche-Courbe, du côté du col de la Chaudière, sont des terrains caillouteux, peuplés de cicindèles vertes, ponctuées de blanc, aux reflets métalliques ; de sauterelles rouges ou bleues, et de divers papillons, parmi lesquels de nombreux adonis.
L’apollon et le vulcain s’y rencontrent aussi, quoique plus rarement. Cette belle et grande mouche, aux quatre ailes de gaze d’or, fascées d’un noir d’ébène, et qui porte au front deux longues antennes qu’on est surpris de voir sur une tête de libellule, l’ascalaphe de Montpellier, s’y rencontre aussi quelquefois.
C’est à peu de distance du col de la Chaudière, et sur les hauteurs qui conduisent à celui d’Espenel, qu’une des vues les plus sauvages et les plus riantes à la fois s’offre au voyageur, en face duquel s’élève alors la partie des rochers de Saoû la plus sourcilleuse, la plus hérissée de pointes, de dents, de crêtes, d’entailles verticales et de cannelures à pic ; c’est la partie qu’on nomme les Trois-Becs.
La forêt de Saoû servait autrefois de repaire aux malfaiteurs, et elle renfermait des bêtes sauvages.