Pour mon père, la venue de Brachet, dont la camionette de primeurs s’installait près de notre boulangerie, à Châtillon, où souvent l’hiver s’alanguissait au pied des majestueuses falaises du Glandaz, c’était un signe qui ne pouvait tromper, le printemps allait sourire.
Il venait de Sahune.
« C’est là-bas que la Provence commence, le Nyonsais, le pays des oliviers ». Je ne savais pas encore que c’était le pays de Barjavel, mais c’était tout près du Diois.
Un beau jour, mon père m’y emmena : nous allions jusqu’à Nyons où il avait à faire quelques courses. On rendit alors visite à un boulanger dont la petite boutique, rue Jean-Pierre André, pas très loin de la place des Arcades, me sembla fort rustique.
Mon père tenait à voir le boulanger, André Combes qui avait repris le fonds d’un nommé Henri Barjavel quand celui-ci avait préféré le quartier plus ouvert de la rue Gambetta.
Combes expliqua que Barjavel, natif de Tarendol, hameau de Bellecombe, était venu travailler comme mitron chez le père Achard et que, celui-ci tôt décédé, il s’était finalement marié avec sa veuve, Marie.
Leur fils, René ? Non, il n’avait pas voulu prendre la succession du père. Il avait fait des études et s’occupait d’une maison de livres à Paris après avoir tâté du journalisme.
C’était hier.
C’était le temps du grand-père Joseph Barjavel qui s’escrimait dans ses champs de Tarendol, le temps du père Henri qui, comme mon père, pétrissait encore à la main sa fournée de pains. Le temps où René Barjavel, « monté » à Paris, commençait à donner des critiques de cinéma à la revue du Merle blanc et à s’initier au métier d’éditeur chez Denoël.
Cette Provence drômoise, celle de ses aïeux, la mienne aussi, n’avait rien à voir avec celle de Mireille et de Pagnol. C’était un pays âpre, aux reliefs tourmentés, une terre difficile, des étés de feu mais des hivers glacés.
Avec La charrette bleue et Tarendol, Barjavel, heureusement, nous l’a restituée.