La tour de Crest est une prison mixte. Mais pour deux mois, en 1813, la population est exclusivement féminine. Est-ce dû à une brusque initiative des autorités à « nettoyer » les quartiers chauds de leur ville, l’augmentation du passage des troupes ou des périodes de crise économique ?
Peu de femmes sont incarcérées pour des crimes ; le vol est beaucoup plus fréquent, mais le gros bataillon (plus de la moitié des détenues) le sont pour des motifs affublés de dénominations diverses : inconduite, mauvaise vie, mauvaises mœurs, mœurs déréglées ou dépravées, libertinage…
Une partie des prisonnières, spécialement en cas de vol, ne font d’ailleurs qu’une brève halte à Crest, avant de passer devant le tribunal de Die ou de Valence et d’y être incarcérée.
Le cas des dames de petite vertu est tout autre : peu semblent avoir été l’objet d’une condamnation en bonne et due forme. Elles ne se trouvent là, et pour des périodes allant de quelques semaines à quelques mois, qu’au titre d’un arrêté du Préfet, d’un sous-préfet, voire d’un maire, qui ont jugé bon de retirer ces personnes du circuit. La durée de détention n’est pas généralement formulée dans les documents étudiés. Ces détentions ne nous font apercevoir, et encore, que la partie émergée de l’iceberg. Le dossier sur les filles publiques, qui couvre tout le XIXe est à cet égard très éloquent.
Ce n’est pas le sort de ces « filles » qui émeut vraiment les autorités. Souvent en proie à des maladies vénériennes, elles ne sont généralement pas soignées. Il n’y a d’ailleurs à Valence, Romans ou Montélimar aucun hôpital susceptible de les recevoir et de les traiter. Par contre la santé des soldats dans les villes de garnison inquiète au plus haut les dirigeants tant civils que militaires.
Cette courte incursion dans un milieu peu étudié, laisse un goût amer. Nous sommes loin ici des luttes pour l’amélioration de la condition féminine ! Nous côtoyons la misère la plus noire, qui jette des femmes souvent jeunes, sans métier, sans travail, dans la seule activité qui leur permet, à quel prix, d’échapper à une mort par la faim. On devine, par delà l’édifice imposant de l’Empire, et la gloire que recherche son souverain, un monde souterrain et désespéré.