Victor-Claude Rosset
L’auteur, décédé le 7 avril 2021, était le neveu de Victor Garaix. Marie Garaix, sœur de Victor, épouse Rosset, a conservé tous les documents laissés par son frère disparu trop tôt en pleine gloire.
Résumé : Victor Garaix, taulignanais, part en apprentissage dans un atelier de mécanique à Longjumeau. Passionné d’aviation, il travaillera très vite dans un atelier de construction d’avions jusqu’à les concevoir, les piloter et devenir instructeur. Sa rencontre avec l’ingénieur Paul Schmitt en 1913 lui permettra de battre, en quelques mois, des dizaines de records à bord d’un avion biplan à incidence variable.
Selon l’état civil, Victorin Mary Ernest Garaix naît, à la rue des Fontaines à Taulignan, le 8 novembre 1890. Ses parents sont Jean-Louis Garaix, marchand épicier et Mélina Reynaud, ménagère. Victor a une sœur ainée, Marie, avec laquelle il entretiendra toute sa courte vie une correspondance régulière. Ses parents se séparent et, restée seule avec ses deux enfants, Mélina travaille pour nourrir sa famille. Au recensement de 1906, elle est déclarée couturière.
Enfant, Victor est curieux de tout, vif et assez turbulent. Il fait les quatre cents coups dans les rues de Taulignan avec son ami, le fils du docteur Culty. Parmi les espiègleries, celle notoire qui consiste à mettre des marrons dans l’encensoir du curé. Ce dernier ne semble pas lui en tenir rigueur puisqu’il l’initie aux mathématiques et au latin.
En 1906, il a alors 16 ans, il quitte Taulignan et le foyer maternel pour Villeneuve-le-Roi (anciennement Seine et Oise) où son père gère une entreprise de construction avec son frère jumeau. Dans une lettre qu’il adresse à sa sœur en décembre 1906, Victor raconte qu’il étudie le soir « … j’ai une grosse chimie appliquée à l’industrie où j’ai trouvé beaucoup [de] pratiques que je ne connaissais pas. La première fois que j’irai à Paris, j’apporterai une physique ; j’ai une arithmétique et une grammaire latine car je l’étudie encore un peu, cela peut servir. »
La mécanique
L’entreprise Bailleau de Longjumeau qui fabrique des voiturettes le prend comme apprenti au printemps 1907. Passionné de mécanique, le jeune homme progresse vite et acquiert des connaissances notamment en matière de moteur à explosion. Bailleau lui confie une voiturette pour participer au « Grand Prix des voiturettes » et c’est chez son patron que Victor construit celle avec laquelle il court le Paris-Dieppe.
L’année où Louis Blériot réalise son premier voyage aérien Toury-Artenay et retour, Victor entre comme mécanicien dans l’entreprise « Les Aéroplanes Bonnet-Labranche » rue Lecourbe à Paris 15e. Il est chargé de la réparation et de l’entretien de biplans n°1 et 2 construits en bois et en toile. C’est lui qui dirige la construction du biplan n°3 comme celle de planeurs et de modèles réduits.
Au moment de quitter la société pour devenir chef d’atelier chez AVIA1 dans la nouvelle fabrique d’aéroplanes, Albert ou Émile Bonnet-Labranche écrit dans son certificat de départ : «… nous avons toujours estimé son grand dévouement, sa probité, et surtout ses idées ingénieuses et ses services rendus dans le travail du bois et du métal, et la mise au point des moteurs d’aviation ».
L’expérience AVIA à Saint-Dié-des-Vosges durera à peine 17 mois.
Lorsque l’usine AVIA ferme « pour cause fortuite », Charles Roux écrit : « …Pendant les huit derniers mois, Monsieur Garaix a même cumulé les fonctions de directeur de l’usine de Saint Dié avec celles de chef d’atelier… Monsieur Garaix est à mon avis, à l’heure actuelle, l’un des hommes « du métier» ayant la plus grande expérience de la construction et de la mise au point des appareils d’aviation. » Puis il vante ses mérites personnels, la confiance qu’il lui porte et l’estime dont il jouit auprès du personnel.
Victor Garaix n’a pas encore 20 ans…
Le pilotage
Il ne quitte cependant pas son ancien patron. On le retrouve en 1911, pilotant des monoplans et biplans à Nancy et à Juvisy mais surtout il conçoit, avec Charles Roux, un monoplan métallique dont il produit une petite série.
On peut lire dans la presse : « Ce nouveau modèle, d’une grande élégance et remarquablement étudié a pris son vol, piloté par le sympathique aviateur Garaix, directeur de la Société des Aéroplanes Charles Roux… C’est la première fois qu’un monoplan d’un modèle nouveau vole dès sa première sortie (sic). Certes cela ne nous étonne pas, cet appareil étant construit par une remarquable équipe de compagnons, dirigée par un praticien tel que Victor Garaix. »
C’est à cette époque que Victor entre à l’école de pilotage d’Issy-les-Moulineaux.
En 1912, Victor Garaix dirige une école de pilotage à La Vidamée, un petit aérodrome entre Chantilly et Senlis créé deux ans plus tôt par R. Pelletier et R. Belier. L’école de pilotage Borel-Morane s’y installe également et de très nombreux spectateurs viennent voir évoluer d’illustres aviateurs tels Verrept, Saulnier, Védrines, vainqueur de la course Paris-Madrid, resté célèbre pour ses faits de guerre et son atterrissage sur le toit des Galeries Lafayette en 1919.
La presse salue « …une très importante école de pilotage… s’est fixée à la Vidamée L’Aérotourisme… M. Garaix nous fait la description de son appareil (il en possède les brevets) qui semble renverser totalement les hypothèses émises jusqu’ici pour obtenir la plus grande solidité et stabilité ; l’appareil est entièrement métallique et mécanique, un atterrissage brusque par un élève imprudent ne le casse pas. Les tubes acier qui le composent, soudés à l’autogène, sont d’une élasticité remarquable et malgré cela d’une rigidité que rien ne peut faire varier, l’humidité de l’air n’ayant aucune influence sur le métal … »
C’est à la Vidamée que Garaix passe son brevet de pilote le 27 octobre 1912. La presse locale s’en fait à nouveau l’écho : « Garaix, chef pilote de l’Ecole Aérotourisme passe brillamment les diverses épreuves du brevet de pilote sur son monoplan métallique dont il est l’inventeur et le constructeur. Ces épreuves ont été contrôlées par M. J. Odent délégué de l’Aéroclub qui a vivement félicité l’aviateur non seulement pour ses qualités de pilote mais surtout de la bonne tenue de son appareil dans le vent. »
L’Aérophile du 15 novembre 1912 officialise l’événement : « La Commission d’Aviation du 6 novembre 1912 a admis aux fins d’homologation, les demandes de brevet de pilote-aviateur de : … Garaix, n°1133 délivré le 8 novembre sur « Garaix ».
Quelques semaines avant qu’il ne passe son brevet, il a reçu la visite de celui qui épousera à Romans sa sœur Marie l’année suivante : Frédéric Rosset. Ce dernier relate sa première rencontre avec Victor dans une lettre du 11 octobre 1912.
« … Nous arrivons à midi passé le maitre-pilote et ses élèves sont à table. Bien que Madame Garaix prétende le contraire, j’estime qu’il est aisé de reconnaître le frère quand on a vu la sœur. C’est un fort beau gars. L’air de la Vidamée lui est favorable, il y a atteint le poids de 81 kg !
Au café la langue se délie. L’aviateur nous dit ses peines passées et nous laisse deviner sa joie de tenir enfin le succès. Je m’explique parfaitement à présent ses demandes de sursis pour le service militaire. Il est à la tête d’une entreprise très sérieuse qui promet. La conscription cette année ruinait tout.
Mais nous voici au hangar. C’est d’abord un appareil école, un vieux Blériot qui ne paye pas de mine. Puis le Métallique Garaix d’une fort belle allure. Ici le « mécano » est à son affaire. Il nous demande « A quelle heure repartez-vous ? » Puis il ajoute : « si vous pouvez attendre jusqu’à ce soir 6h. Vous me verrez voler. » Comment ne pas attendre ? Tout nous y invite. L’attente sera agréable. La cordialité et les explications d’un homme de l’art nous sont également précieuses. Le temps est superbe, le cadre enfin d’une forêt à l’automne est des plus séduisants. Un moment M. Garaix s’occupera de ses élèves, nous en profitons pour visiter Senlis.
A notre retour nous entendons un gamin dire à un autre « le métallique sort ce soir ». Pour n’avoir pas encore la réclame de la grande presse, le « métallique » n’en a pas moins sa réputation. On le sort du hangar à 16h45.
En homme dont j’admire le calme, la méthode, la prudence, le sang-froid, le pilote s’assure que tout est prêt. Il occupe son siège sans précipitation. Il donne constamment l’impression d’un homme parfaitement maître de lui. Voici l’aide, les commandements brefs, militaires presque, l’hélice est lancée, le bourdonnement du moteur est effrayant. L’appareil court sur le sol.
Brusquement nous voyons la queue s’abaisser, d’un bond superbe l’oiseau s’élance dans l’air et monte, monte. Il paraît planer, décrit un cercle immense et revient atterrir en un vol plané qui nous émeut tant la plongée est rapide. Il repart avec un passager, M. Alexandre je crois. Une troisième fois il emmène une passagère et il est nuit. Mais quel régal ! Nos compliments sont bien sincères.
L’impression de sécurité que nous avons éprouvée a été constamment parfaite. J’ai bien envie de retourner à la Vidamée dimanche prochain tant est grande mon envie de monter en aéroplane. Il a été entendu en effet qu’à mon prochain retour votre frère m’emmènerait.
Et maintenant, Bravo à votre aviateur ! Soyez heureuses, Madame Garaix et vous de votre brave Victor. »
Aux côtés de Paul Schmitt
L’école de pilotage s’installe à Chartres en 1913. Les appareils arrivent en gare le 7 janvier et par camions à l’aérodrome le 28 janvier. Dès le 30, Garaix s’envole dans le ciel chartrain et survole la ville à 400m d’altitude avec son « métallique ». Puis il vole avec tous les élèves. L’école est cette fois dirigée par Fernand Alexandre et Victor Garaix est l’instructeur. À partir de février, Victor participe aux exhibitions du dimanche avec les autres pilotes. Il fait la connaissance de Paul Schmitt, ingénieur-constructeur dont il devient le pilote d’essai et le responsable de la mise au point. Il quitte Alexandre en avril.
Il se familiarise très vite avec son nouvel appareil, fait des lignes droites puis le tour d’un clocher puis un vol de 45 minutes et le 28 avril, accompagné d’un élève, il part à Vincennes malgré des conditions atmosphériques exécrables pour présenter l’appareil Schmitt à une commission militaire.
Les comices agricoles prennent contact avec lui pour agrémenter leur congrès en mai. Alain Kurc raconte2 cet épisode à partir de la presse locale. Malgré la pluie battante, l’aviateur décolle « Et ce fut un spectacle merveilleux lorsque l’appareil ayant effectué quelques vols au-dessus de la ville, vint se poser de façon impeccable sur le terrain détrempé du champ de courses au milieu d’un enthousiasme extraordinaire. » Le départ est plus problématique, impossible de prendre assez de vitesse sur le sol boueux. Le pilote pense alors avoir plus de chance en partant de la piste : « au bout de quelques mètres, le biplan bondit, mais pas assez haut pour éviter les ronces artificielles qui clôturent le terrain. Il retomba, l’hélice brisée. » Finalement le lundi matin, à 5 h 30, Garaix s’envole. « Il n’a pu décoller qu’en agissant fortement sur sa commande de variation d’incidence, en l’augmentant d’un seul coup de plusieurs degrés. »
Le 25 juillet, Victor Garaix se lance dans les épreuves du brevet militaire à bord du premier des appareils construits par Paul Schmitt, le « Françoise », modifié et amélioré par le chef d’atelier Émile Bouzat.
L’autorité militaire a en effet décidé que le brevet délivré par la F.A.I.3 ne suffisait plus pour piloter les avions militaires. Un brevet d’aviateur-militaire est instauré (3 vols de 100 km aller-et-retour, sans escale, à une altitude supérieure à 300 m). L’un des itinéraires imposés comprend Chartres comme point de virage4.
Avant cela, Victor a l’occasion de participer à une aventure qui fera parler le landerneau. C’est à nouveau A. Kurc qui rapporte5 ce qu’en a publié la presse locale de l’époque. La société cinématographique « L’Éclair » tourne une comédie burlesque « La course au million6 ». Toute la troupe est à Chartres pour réaliser quelques acrobaties aériennes afin de pimenter le film. Le cascadeur, dénommé Bertho, est cramponné à un longeron d’un Paul-Schmitt, et saute après le décollage. Il est remplacé par un mannequin qui sera emmené flottant, ballotant au-dessus de Chartres. Le Paul-Schmitt est piloté par Victor Garaix. A. Kurc précise « Le tournage est suivi par un parterre de choix. Parmi les nombreux étrangers venus d’outre-Atlantique, on remarque Miss Ann Morgan, fille du célèbre milliardaire Pierpont Morgan, Miss Robinson-Smith et Arthur William, directeur des usines Edison de New-York. »
Garaix est déjà connu à l’international. Au printemps 1913, il est sollicité par la société L’Aéroplane de Philippopoli (actuel Plovdiv) en Bulgarie désireuse de créer une école de pilotage avec une dizaine d’appareils qui lui propose les postes de chef-pilote et chef. Un échange de lettres montre que les pourparlers ont été assez avancés.
Le soin qu’il prend à préparer son appareil et ses vols lui évitera le sort de nombreux collègues tués dans des accidents, comme Legagneux (1914), Poillot (1910), Delétang, Maron (1911), Level (1911), Frey (1912), Debever (1913)… Pourtant, alors qu’il passe la première épreuve du brevet militaire, son moteur explose en vol. Il s’en sort sans mal.
Fin décembre 1913, le biplan triplace Schmitt de 160 cv est exposé au Grand Palais à Paris lors de la Cinquième Exposition de la Locomotion Aérienne7 . À la même époque une commission militaire s’invite dans les hangars de la firme Schmitt pour procéder à des tests sur un triplace. Le premier consiste à mesurer la vitesse sur un kilomètre : 83,736 km/h dès le premier essai. Puis le vol le plus lent possible : Garaix bat le record de Moineau (52 km/h) en parcourant le kilomètre en 1 mn 32 s. (39,132 km/h). Paul Schmitt invite son pilote à déjeuner à Orléans peut-être pour fêter ce succès. Ils s’y rendent évidemment en avion !
Garaix fait tomber les records
Le 21 janvier 1914, Victor pratique les essais du Paul-Schmitt 160 CV qui a été exposé à Paris. Les vols en montée se suivent. Le 27, il atteint 2250 m en 22 mn. Quittant la verticale de Chartres hélice à l’arrêt, il plane 17 mn pour rejoindre le terrain. Dans l’après-midi il emmène 4 passagers.
Le samedi 31 janvier, il bat le premier d’une longue série de records mondiaux ; celui de l’altitude avec 6 passagers : 1750 m. Garaix déclare : « Je n’ai aucun mérite, car la machine n’a, pour ainsi dire, pas besoin de pilote ». Il explique aussi la particularité de l’avion : ses ailes à incidence variable :
« … les plans supérieur et inférieur de l’appareil peuvent prendre, à la volonté de l’aviateur, une incidence qui va de zéro degré à 12 degrés. Plus le degré d’incidence augmente, plus les ailes se cabrent, en quelque sorte, dans l’air. En vol normal, elles forment frein et la vitesse diminue. Pour gagner de la hauteur, il n’est alors nul besoin de faire cabrer l’appareil par de violents coups de gouvernail de profondeur, car sans à-coups, avec une extrême douceur, en donnant de l’incidence aux ailes et en faisant agir normalement le gouvernail d’altitude, dans le sens de la montée, l’avion grimpe aisément dans le ciel 8.»
Henri Mirguet dans la revue l’Aérophile du 1e avril 1914 en donne une longue description plus technique et termine par ses caractéristiques :
- Envergure Supérieure : 17 m 50.
- Envergure Inférieure : 12 m 50.
- Surface Totale : 45 m 20.
- Longueur Totale : 10 mètres.
- Poids total à vide : 650 kgr.
- Poids utile, charge en ordre complet de route : 450 kilogrammes.
- Poids total en ordre de route avec 4 heures d’essence et huile y compris le pilote et 2 passagers : 1100 kilogrammes.
- Moteur : 160 HP Gnôme.
- Vitesse 105 km. h.
- Vitesse Minima : 35 km. h.
- Les distances de roulement maxima au départ et à l’atterrissage sont de 90 mètres.
- L’appareil prend son essor et atterrit dans un enclos de 2 mètres de hauteur et de 120 m de longueur.
L’aviation est à ses débuts et les records à battre sont nombreux car très « découpés » : records d’altitude, de vitesse, de durée, de distance, chacun divisés : avec 2, 3, 4 … 9 passagers ; durée pour 10, 20 … 100 km, etc. ce qui explique les 41 records mondiaux de Victor Garaix, au début de juillet 1914. À cette date sur les 138 records mondiaux, 119 appartiennent à la France, 10 à l’Italie, 4 à l’Allemagne, 4 à l’Autriche et 1 à la Russie9. Sur ces vols, les données sont très contrôlées : le poids des passagers, de l’huile et de l’essence, l’altitude, le temps, la température.
La compétition internationale est rude surtout entre l’Allemagne et la France. Ces premiers succès valent à Victor des lettres d’admirateurs dont celle de M. Montusclat, bien dans l’esprit de rivalité franco-allemande de l’époque :
Victor Garaix va donc entreprendre de battre méthodiquement tous les records surtout ceux des Allemands et des Autrichiens :
- 31/1/1914 Altitude avec 6 passagers : 1750 m
- 05/2/1914 Altitude avec 5 passagers : 2230 m – vol de 30 mn ;
- 06/2/1914 Altitude avec 4 passagers : 2750 m ;
- 25/2/1914 Altitude avec 4 passagers : 3150 m ;
- 02/3/1914 Altitude avec 3 passagers : 3300 m – il bat Josef Sablatnig par vent violent (15 m/s) jusqu’à -22°c. L’avion est couvert de givre à la descente ;
- 17/3/1914 Altitude avec 7 passagers : 1650 m ;
- 28/3/1914 Altitude avec 8 passagers : 1550 m – montée en 44 mn ;
- 31/3/1914 Altitude avec 9 passagers : 1580 m ;
- 22/4/1914 En un vol avec 6 passagers il bat ou établit 38 records : 110 km en 1 h 02 à 104,3 km/h de moyenne avec pointe à 107 km/h. Les titres de la presse sont éloquents : « Le record des records », « Une avalanche de records », « Garaix fait une hécatombe de records » ;
- 10/6/1914 Plusieurs records en un vol avec 5 passagers : vitesse moyenne, plus grande vitesse, distance, durée, temps (1/4 h, ½ h, 1 h) ;
- 03/7/1914 Record de durée avec 3 passagers : 4h 03 mn 20 s en circuit fermé au-dessus de Chartres (environ 450 km). C’est le 41e record de Victor Garaix sur 138 records mondiaux.
La presse est dithyrambique.
Attendu à Taulignan
Pendant cette période, les courriers entre Taulignan et Chartres se succèdent. Les Taulignanais aimeraient voir atterrir leur héros sur le sol de son village natal.
Le 12 avril, Victor écrit à sa mère alors directrice de la crèche de l’Assistance publique à Romans :
« Chère Maman
Comme Frédi a dû te le dire, je ne puis aller te voir à Pâques, je me prépare en vue de nouveaux records de hauteur et après de vitesse avec passagers, c’est pour moi le moment d’en profiter. Tu n’as rien à craindre, il n’y a aucun danger car tout cela est fait sur l’aérodrome.
On m’écrit à chaque instant de Taulignan ; je vais bien écrire une bonne fois ce que je ferai.
Je t’embrasse fort
Victor »
Il a promis de venir en avion à Taulignan et l’effervescence monte, les préparatifs, un peu maladroits, s’organisent mais Victor se fait attendre. Un comité d’aviation est constitué comprenant les notables de l’époque : Présidents d’honneur : Émile Pontillon (maire) et Jean Patricot ; Président : Docteur Culty ; Vice-Présidents : Raoul Thomas (notaire) et Paul Meffre (représentant de commerce) ; Trésoriers : Teissier, A. Durand et Ferrin ; Secrétaires : Eugène Bernard, Camille Clair et Maurice Saint-Martin…
Le docteur Culty écrit à Victor 10 : « Le lieu d’atterrissage que l’on se propose d’enclore légèrement [plan d’Orange, route d’Aleyrac] est un rectangle de 130 m de long sur 60 m de large, avec une déclivité de 4% à 5% orientée du nord au sud. Le sol serait un gazon à peu près sans pierres, sur une épaisseur de 5 cm environ, reposant sur la roche. Le hangar pourrait être placé sur le côté ouest du rectangle… Taulignan n’étant pas un centre d’approvisionnements, il nous serait commode de savoir par avance la quantité approximative d’essence et d’huile qu’il faudra. »
Pour financer cette grande fête de l’aviation, Taulignan organise, un peu vite, une tombola sans connaître la date exacte de l’arrivée de l’aviateur11. Tous les billets sont vendus en un temps record.
Mais Victor Garaix ne viendra pas, il bat des records, puis arrive la guerre. Le produit de la vente des billets de tombola sera reversé à une des œuvres caritatives du début de la guerre.
Fin juin, il écrit à sa mère : « … Je vais tâcher de monter un peu plus haut dans mon échelle de la vie et sois sans inquiétude je ne fais jamais que ce qui est possible… »
Le concours pour la sécurité en aéroplane
En 1914 est ouvert un concours pour la sécurité en aéroplane. Sont testés dans les conditions de leur utilisation : les parachutes, les stabilisateurs, les carburateurs, démarreurs etc. Finalement sur les 31 concurrents inscrits, 4 machines seulement peuvent participer dont le Schmitt multiplace piloté par Garaix. Il s’est posé à Châlons avec Paul Schmitt après un arrêt à Juvisy à cause du brouillard. Au cours de ce trajet, il bat un record du monde « au-dessus de la campagne ». Il fait les épreuves de décollage et d’atterrissage, évoluant à 300 mètres avec deux personnes à bord et son atterrissage est parfait avec ralentissement du moteur et reprise.
Après moult péripéties, le Grand Prix n’est pas attribué : « …Mais… Le Jury estime que les résultats obtenus par M. Paul Schmitt comporte un progrès réel dans la voie de la sécurité. Il accorde à cet inventeur une prime de 30 000 francs en raison des qualités de son aéroplane dont le principe et la construction donnent des garanties importantes au point de vue de la diminution des accidents12.»
Des performances remarquées par les militaires
Début juillet, Paul Schmitt reçoit une délégation britannique du Royal Naval Air Service créé en juin. Son officier responsable le squadron-commander, engineer-lieutenant E.F. Briggs pense que l’incidence variable pourrait permettre de se poser en douceur sur l’eau. Il pense également que le moteur Rhône de 160cv serait très utile sur les grands appareils qui doivent voler sur la mer du Nord. Victor Garaix procède à des vols avec le » Paul-Schmitt » et le dernier de ces vols fait tomber le record de durée sans escale détenu par l’Allemand Grell et en le portant de 3h11 à 4h03.
C’est le dernier record de Victor Garaix.
Après les Italiens et les Britanniques, c’est une commission militaire autrichienne qui fait le déplacement à Chartres le 22 juillet. Et Victor emmène deux officiers. P. Schmitt peut espérer voir son travail récompensé. Les commandes vont arriver et l’équipe va s’étoffer.
La guerre
Un décret du 31 juillet 1914 interdit toute activité aérienne, sauf militaire. Victorin Garaix rejoint son affectation le 5 août à Saint-Cyr. Il reçoit l’ordre de ramener le biplan Paul-Schmitt le 8 août.
Il écrit à sa mère de Paris le 14 août : « … Je vais très bien et je suis content de mon sort. J’ai été incorporé aux troupes d’aviation à St Cyr avec mon appareil Schmitt. Je partirai bientôt vers l’est, mais sois tranquille je crois que je reviendrai bientôt.
Pour moi c’est intéressant car cela me compte pour mon service militaire… Je crois que tu feras bien d’attendre des jours meilleurs pour venir à Paris car ce sera moins dur en Province… »
À Saint-Cyr l’avion est armé de deux mitrailleuses, l’une à l’avant, l’autre à l’arrière. Le 12 août il reçoit l’ordre de se rendre à Verdun. Il prend le départ le 15 août à 17 heures, dans les nuages et beaucoup de vent. Il est contraint d’atterrir près de Château-Thierry à cause du mauvais temps. Le lendemain, Garaix prend la direction de Verdun sous une pluie d’orage et de grêle.
Il est affecté à l’Escadrille 16 du Capitaine Mauger de Varennes. L’avion est muni de deux lance-obus de 155 long, disposés dans les ailes à l’aplomb du 1e montant. Le 17 août, Garaix et ses deux mitrailleurs Schmitt et Labeille s’envolent pour faire barrage à un zeppelin et un taube mais ces derniers semblent avoir changé de direction.
Sa mort
Les États de service du pilote13 racontent la suite :
« Les 20, 21 et 22 août, il fait chaque jour un vol de bombardement, emportant sur les gares de rassemblement ennemi, dans un rayon de 30 à 40 kilomètres derrière les lignes, 2 obus de 155 long., pesant ensemble 100 kilogrammes avec leur dispositif de déclenchement. Il effectue des vols avec une charge dépassant 500 kgs à une altitude atteignant 3000 mètres.
Le 23 août au matin, Garaix, en compagnie de Labeille, effectue un bombardement. Parti à 8 h 20, le pilote a porté 2 obus de 155 long. qu’il a fait éclater ensemble au N.E. d’AUTUN LE ROMAN à l’entrée de l’agglomération sur des troupes ennemies massées en cet endroit. Il atterrit à 9 h 45 ayant accompli un parcours total de 95 km…
Dans l’après-midi, le Capitaine Mauger de Varennes ayant reçu les rapports de ses pilotes, déclare que les Allemands viennent d’établir des batteries spéciales de canons contre-avion au nord et au sud d’AUTUN LE ROMAN rendant le vol désormais impossible au-dessus de cette région. Les avions en service à VERDUN ne pouvant, en effet, à l’exception du P.S.I, voler au-dessus de 2000 mètres avec leur charge de guerre, constituent une cible facile pour l’Artillerie légère spéciale allemande.
Garaix propose spontanément de partir avec sa machine qui enlève aisément à 3000 mètres sa charge de 100 kilogs d’obus pour tenter de détruire les batteries signalées.
Le capitaine Mauger de Varennes félicite Garaix qui part en qualité de volontaire, accompagné du Lieutenant de Saizieux … à 16 heures 20’…
L’avion atteint par un projectile de plein fouet a été brisé en plein vol, à 3000 mètres d’altitude…
La chute de l’avion P.S. a été relatée dans un communiqué officiel de l’Etat-major allemand aux Armées, rapportant par une confusion des noms que : « l’appareil de l’aviateur GARROS et de l’officier observateur qui l’accompagnait a été atteint à une très grande hauteur par un projectile de l’artillerie spéciale contre Avions. L’avion abattu portait sur les flancs du fuselage la liste des records de hauteur que s’était attribués le célèbre pilote ». »
Garaix est le premier aviateur tué par l’ennemi et le premier Taulignanais à mourir à la guerre. Ce n’est qu’en mai 1915 que sa mort est annoncée à la famille par la Mission catholique suisse de Fribourg. Deux habitantes de la région, Mmes Bienvenue et Bienaimé, réfugiées dans le Tarn, qui avaient assisté à la chute de l’appareil, ont écrit à Marie Rosset, sœur de Victor :
« C’est à Tucquegnieux qu’il est tombé vers cinq heures du soir un aéroplane monté par un lieutenant et son pilote … Je puis vous dire qu’ils n’ont pas souffert : le moteur s’est rompu, nous avons vu du feu et deux personnes tomber, on les a relevées dans le village et le lendemain a eu lieu l’enterrement ; beaucoup de monde accompagnait … » et «… Quand ils sont tombés par rupture du moteur, les Allemands qui étaient partout se sont précipités. Révolver au poing sur les malheureuses victimes qui n’existaient plus… »
Les deux lettres mentionnent la cause avancée au début qu’évidemment ces dames ne pouvaient connaître par elles-mêmes. Un premier rapport a parlé de panne de moteur comme cause de la chute de l’avion. Les témoins sur place et les différents documents (états de service et communiqué allemand) ont prouvé qu’il ne s’agissait pas d’une panne. Peu de jours après le drame, Mauger de Varennes tente de persuader ses supérieurs d’intervenir en haut lieu pour que la perte du prototype n’entraîne pas l’abandon d’un appareil très en avance sur son époque. Il signale que l’appareil est deux fois plus puissant que les autres avec deux mitrailleuses et portant deux bombes. Il conclut son rapport : « Il serait intéressant que le Paul Schmitt devienne à bref délai un avion d’escadrille et que de nombreuses unités d’aviation en soient pourvues. » Mais la concurrence industrielle est importante et Schmitt n’a finalement équipé que deux escadrilles avec son P.S.7 issu de celui des records. Et la bravoure de Victor Garaix n’a pas été officiellement reconnue et honorée.
Victor Garaix sera cité à l’ordre de l’Armée avec le Lieutenant de Saizieux au J.O. du 15 septembre 1915 et recevra la Médaille militaire à titre posthume, par arrêté du 12 mai 1920, dont extrait signé du chef d’escadron du dépôt du 35e régiment d’aviation en date du 17 février 1921. L’extrait stipule qu’il doit être remplacé par un brevet délivré par les soins de la Grande Chancellerie de la Légion d’Honneur. Ce brevet, s’il a été délivré, n’a pas été retrouvé.
En 1922, la dépouille de Victor Garaix a été transférée dans le caveau familial au cimetière de Valence. Son nom figure sur le monument aux morts de Taulignan. Une rue de Chartres porte son nom.
Épilogue
Dans le numéro 197 de juin 2006 de la revue Icare consacré à l’aéronautique de la troisième Armée en 1914/1915, l’article titré « L’Exception perdue » revient sur l’avion Paul-Schmitt et sur la fin de Victor Garaix. L’article commence par une citation de 1914 de l’Aérophile que nous livrons en conclusion :
« Avec une modestie qui l’honore, Garaix tient à reporter sur son biplan à incidence variable et sur l’ingénieur Paul Schmitt qui l’a conçu, étudié et magistralement réalisé, la meilleure part de son succès. Cette part est grande en effet, mais elle ne doit pas nous faire oublier l’habileté prudente et méthodique avec laquelle Garaix a conduit les essais de mise au point, toujours délicats, surtout avec des engins qui s’écartent des données courantes, l’endurance et le courage dont il a fait preuve dans ses vols de hauteur. »
Sources
- Originaux : photos, articles, lettres, documents administratifs, catalogues d’avionneurs, cahier de croquis de son monoplan de 1909… Archives familiales.
- Presse : numéros de l’Aérophile en ligne et les numéros de La Revue aérienne du premier semestre 1914.
- Alain Kurc, Les Pionniers de l’Aviation en Beauce 1877-1914. Société dunoise d’archéologie, histoire, sciences et arts, ISSN 0335-9166, Châteaudun, 1995.
- Victor-Claude Rosset, Victor Garaix l’aviateur, St Thonan, 2012 (épuisé).
Notes
- Ateliers Vosgiens d’Industrie Aéronautique
- A. Kurc p. 183
- Fédération Aéronautique Internationale
- Sur le champ d’aviation de Chartres documents choisis dans les collections patrimoniales 1909-1914, Médiathèque l’Apostrophe, Chartres
- A. Kurc p. 187
- Comédie burlesque avec Casimir, Gavroche et Pétronille
- A. Kurc p. 197
- A. Kurc p. 199
- Article de presse non daté in V.C. Rosset p. 49
- V-C Rosset p. 46, lettre du 29 mars 1914
- Fr. Lousberg Coulon, Entre Belle époque et Années folles, la Grande Guerre dans un village du sud de la France Taulignan 1906-1926, ISBN 979-10-699-2676-9, Montélimar 2018 p. 69-70
- A. Kurc p. 215
- États de service du pilote aviateur V. Garaix et de son avion n°7 P.S. 1. L’intégral in V.C. Rosset p. 55
Crédits photographiques : © Ayants droit Garaix
Cet article est édité par les Études drômoises. Pour le citer, mentionner :
Rosset Victor-Claude. « Victor Garaix, l’aviateur aux 41 records du monde ». Mise à jour le 27 octobre 2024. In Études Drômoises. Site de l’Association universitaire d’études drômoises, [En ligne]. https://etudesdromoises.fr/chercheurs/personnages/victor-garaix-aviateur-aux-41-records-du-monde/ [consulté le JJ/MM/AAAA].
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