Association universitaire d'études drômoises
L'AUED est une association reconnue d'utilité publique qui édite Études drômoises, la revue du patrimoine de la Drôme

René Gau : récits de vie

par AUED

Par René Gau

Études drômoises n° 35 (octobre 2008)
pp. 32 à 37

Résumé d’après l’article

J’ai passé 27 mois et quelques jours en Algérie dont 18 en opérations et 13 au feu, comme l’on dit en langage militaire. Après 4 mois d’instruction classique dans un camp sous toiles, je suis convoqué par le colonel qui, ayant finalement découvert mes compétences de peintre, me trouve une affectation :
« Bon, à partir de maintenant vous allez pouvoir faire votre métier. Vous êtes affecté au 5e Bureau d’action psychologique à l’État Major du régiment de Relizane. »
C’est la vie de château ; je dessine une affiche pour vanter les réalisations françaises, puis dois faire un portrait de de Gaulle pour le défilé des anciens combattants du 14 juillet.

Malgré tout, sans savoir ni pourquoi ni comment, je me retrouve radio au fond du djebel. On vivait dans les poux, la crasse, le manque d’eau était terrible. Quand, par chance, on passait par un oued, on se lavait et on remplissait les bidons.

Les distractions, il n’y en avait pas.
Figure-toi qu’un jour alors qu’on attendait l’hélico, on a vu arriver la dernière des choses à laquelle on s’attendait, une 2 CV poussiéreuse comme c’était pas possible : un type en descend, sans calot. Il nous dévisage : on était tous pareils, sales, moches, barbus, tannés.
Il finit par dire : « Je suis aumônier, je suis venu vous confesser avant le combat. » Éclat de rire : « Eh ! L’abbé, on vous l’a p’tête pas dit, mais ici, y a rien que des musulmans ! »

Au bout de quelques mois dans le djebel, on est complètement changés ; on est plus nous-mêmes.
Dans les douars proches des villes, ça se passait plutôt bien. Dans les petits douars isolés s’il y avait une grosse katiba, les gens étaient réticents ; ils aidaient les fellaghas, les soignaient, mais nous, on pouvait jamais rien voir. On était des combattants, on partait en patrouille, on dressait des embuscades, on se faisait tirer dessus et on leur tirait dessus. Non, on ne torturait pas ; non je n’ai pas vu torturer.
Je dis pas pour autant que ça n’a pas existé. Des fellaghas, on a dû en tuer, quelques uns.

La quille ! Je retrouve la France et Valence.
Et puis, enfin, un beau matin qu’était celui-ci vraiment beau, on m’a ramené au camp de base à Relizane.
« Demain matin, revue de détail, tenue 46 de sortie. Méfiez-vous, les gars. Le colonel vérifie les chaussettes, pas de chaussettes civiles si vous voulez pas faire une semaine de plus et vous devez ressembler à votre carte d’identité : rasés, peignés, sans barbe. »
La réadaptation a pas été facile. Je tournais autour de la table de cuisine, je pouvais pas rester assis une seconde. J’étais mal dans mon lit ; j’ai fini par dormir par terre, avec une couverture. J’avais l’impression d’être nu, tellement mes habits civils me paraissaient légers. «Il est devenu fou, » disait ma mère. Mon copain Michel Thomas, le vitrailliste, m’a aidé à reprendre mes esprits. J’ai repris les cours avec Bernezat, en année litho. Bernezat a bien vu que j’étais paumé et patiemment, gentiment, m’a fait découvrir sinon la litho du moins les grands maîtres.
Physiquement j’étais démoli. Moralement c’était peut être pire.
Et les anciens combattants, les 14-18, les 39-45, les Résistants nous regardaient de haut :
« Vous, les petits, vous savez pas ce que c’est qu’une guerre, une vraie. » Une vraie guerre, tu parles, comme si une guerre c’était pas toujours une guerre !

Le casse-croûte
Mon copain Favre, 1er février 1959

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